Non, punir des parents qui mendient avec leurs enfants n’est pas une solution
Carte blanche en réponse à l'interdiction de la mendicité avec des enfants sur le territoire de Bruxelles-Ville
La Ville de Bruxelles a décidé d’interdire la mendicité des adultes accompagnés de mineurs de moins de 16 ans. L'amende administrative pourra s’élever jusqu’à 350 euros et semble viser directement les familles Roms en situation précaires sans jamais les nommer explicitement.
Fatigue et colère. Parce que, chaque année, à la fin de l’hiver, les mesures répressives à l’égard des personnes qui vivent à la rue et de celles qui mendient, se multiplient[1]. Alors que c’est pour elles un lieu de vie, de survie. Pourtant, depuis que la mendicité a été dépénalisée en Belgique en 1993, les acteurs de terrain, travaux de recherche et jurisprudence n’ont eu de cesse de rappeler, encore et encore, que la répression n’est pas une solution[2].
La Ville de Bruxelles met en avant l’intérêt et les droits de l’enfant et c’est fondamental, mais ce nouveau dispositif règlementaire est-il réellement adéquat ?
Dans son rapport de 2013[3], la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE), affirmait déjà que « l’arsenal législatif » était « suffisant » et que ce qui s’imposait en revanche était « un renforcement des droits des enfants roms ». Selon la CODE, « enfermer les parents qui mendient avec leurs enfants, ou les punir d’une amende, en l’espèce très élevée, n’est pas la solution pour combattre la mendicité des enfants, qui ne constitue que la partie visible d’une problématique complexe ». S’appuyant sur la Convention relative aux droits de l’enfant ainsi que sur la Constitution, elle appelle à « une réponse sociale au cas par cas, coordonnée entre les différents niveaux de pouvoir et les acteurs de terrain qui ont une expérience en la matière ». Au-delà d’une politique de protection de l’enfance, il s’agit notamment d’assurer une politique de logement décent et accessible, une meilleure intégration scolaire des enfants roms, ou encore la participation des Roms aux politiques qui les concernent, ainsi qu’une aide aux familles victimes de traite.
Le règlement prévoit un premier volet « informatif » (les agents de police informent les parents du nouveau règlement), suivi d’un second volet préventif (pris en charge par les associations de terrain), et enfin le volet répressif que représente l’amende. À la lecture du règlement, le volet préventif, dont la commune se vante tout particulièrement dans les médias, n’est pourtant en rien détaillé. En revanche, le premier volet information des parents par la police, est explicité jusqu’au moindre détail – et le volet répressif n’est conditionné que par celui-ci ! Pas un mot sur la manière dont les effectifs de rue seraient renforcés, rien sur la possibilité d’une aide sociale pour aider les familles à sortir de la mendicité. Rien non plus sur les processus de contrôle démocratique du travail de la police envisagés ou encore sur la manière dont les différents services seraient amenés à collaborer. De ce fait, il est à craindre que, sous couvert de la protection des droits de l’enfant, ce soit bien une « chasse aux pauvres » de l’espace public et une criminalisation de la mendicité, qui soit à l’œuvre.
Or, cette logique, envers les personnes médiantes/sans-abris et particulièrement envers les roms semble se répéter. La pandémie l’a révélé de manière générale, comme le constatait la Ligue des droits humains dans son rapport sur les abus policiers pendant le confinement[4]. Selon le rapport de la CODE cité plus haut, « la situation des parents en extrême pauvreté, dont les familles dites « rom », cristallise à elle-seule l’échec de nos politiques de lutte contre la pauvreté. » Rappelons ici, comme le fait le rapport, que ces familles sont victimes de discriminations et de violences extrêmes dans leurs pays d’origine et que, ayant le statut de citoyen européen, elles ne bénéficient pas d’autorisation de séjour de plus de trois mois, c’est-à-dire aucune aide, ni mutuelle ou allocations, si ce n’est l’aide médicale urgente. La mendicité est donc bien en dernier recours, une question de survie.
Si chacun peut apprécier la pertinence d’infliger une amende de 350 euros à une personne qui mendie pour (sur)vivre, son opérationnalisation sur le terrain pose des questions que ne semble pas avoir pris en considération la Ville de Bruxelles. De nombreux mendiants sont aussi des personnes sans-abri : Comment la commune compte recouvrir les amendes auprès d’un public insolvable et sans domicile ?
Ce nouvel arrêté anti-mendicité est surtout un moyen pour la police de rendre la mendicité plus difficile, voire impossible en chassant sans aucune autre forme de procès les personnes de la commune… avec leurs enfants.
À ce déplacement vers d’autres communes, le Bourgmestre Philippe Close répond à la journaliste de la RTBF avec un cynisme rarement atteint : « On encourage les autres communes à prendre les mêmes dispositions que nous ».
Il fait fi par ailleurs des jurisprudences belges et européennes en la matière dont il ne semble pas avoir pris en compte lors du processus législatif. Notons notamment l’arrêt en suspension (Ville de Namur du 6 janvier 2015) lors duquel le Conseil d’État a considéré que la mendicité avec enfants n’entrait pas dans les pouvoirs de police communale (arrêt en suspension n°229.729). La question de la proportionnalité de sanctions financières à l’égard de parents à priori vulnérables a fait l’objet d’un arrêt devant la Cour européenne des droits de l’homme.
En Belgique, selon l’avis de la Ligue des droits humains, l’interdiction de mendier accompagné d’un mineur de moins de 16 ans serait à priori illégale, « toute personne devant en principe pouvoir être accompagnée de ses enfants, même en mendiant »[5]. « Ce fut le cas d’une jeune mère de famille, emprisonnée avec son bébé, qui avait mendié avec ses deux très jeunes enfants, et avait été condamnée le 4 novembre 2008 par le Tribunal correctionnel de Bruxelles à une peine d’emprisonnement ferme de 18 mois et une amende de 4.125 euros. Dans son arrêt du 26 mai 2010, la Cour d’appel réformait le jugement et acquittait la jeune femme », rappelait la CODE en 2013.
Ce nouveau règlement anti-mendicité est à l’image de tous les autres règlements. Il n’apporte aucune solution de fond, déplace le « problème », ne reconnait pas les difficultés particulières des personnes, sans jamais s’attaquer aux causes qui produisent la mendicité. La ville de Bruxelles poursuit ainsi le travail de stigmatisation, de criminalisation des mendiants que d’autres communes ont commencé avant elle en autorisant une « légitime » violence à l’égard de familles fuyant la discrimination et la misère qu’ils subissent dans leur pays d’origine.
Cette criminalisation des familles pauvres permet aux autorités communales de montrer leur volonté de répondre à ce qu’elles prétendent être « L’intérêt supérieur de l’enfant » alors qu’en réalité, elle accroit la précarité avec pour conséquences de dégrader encore un peu plus les conditions de vie des enfants. Si la question des droits de l’enfant est une priorité pour la commune, comme pour nous, alors d’autres solutions plus efficaces, plus justes nous permettrait d’éviter de tomber une nouvelle fois dans le paradigme facile de la répression.
En tant qu’associations travaillant quotidiennement auprès de personnes vulnérables et soucieuses des droits humains, nous pouvons que nous opposer à toute forme de criminalisation de la pauvreté. Nous en appelons, ici et ailleurs, à la fin des dispositifs répressifs pour répondre avec humanité à la détresse de ces familles et de leurs enfants.
En suivant ce lien, vous trouverez le plaidoyer de DIOGENES lié à la mendicité.
Cliquez ici pour lire la carte blanche dans La Libre.
[1] « De l’inutilité de la répression de la mendicité : aspects historiques et juridiques » Manuel LAMBERT et Jacques FIERENS
[2] « D’après les informations recueillies dans divers travaux de recherche et auprès d’associations de terrain, les enfants concernés par la mendicité en Fédération Wallonie Bruxelles et en Région de Bruxelles-Capitale sont pour la plupart des enfants étrangers accompagnés de leurs parents ou de membres de leur famille au sens large, originaires des Pays d’Europe centrale et orientale (PECO), et d’origine Rom. » CODE, « Mendicité avec enfants : l’arsenal législatif est suffisant mais un renforcement des droits des enfants roms s’impose. Analyse Juillet 2013 » https://www.lacode.be/IMG/pdf/Analyse_CODE_mendicite_juillet_2013.pdf
[3] Ibid.
[4] Ligue des droits humains, « Abus policiers et confinement, Rapport Police Watch 2020 », Juin 2020, 26p. http://www.liguedh.be/wp-content/uploads/2020/06/Rapport-Police-Watch-LDH-2020.pdf
[5] Manuel Lambert, Jacques Fierens, « De l’inutilité de la répression de la mendicité : aspects historiques et juridiques », Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté n°5, 2014, 24p. https://www.liguedh.be/wp-content/uploads/2017/01/pauve_rite_05-web.pdf